mardi 17 janvier 2012

HADOPI, SOPA... et companie

Hier on m'a demandé ce que j'en pensait, je vous livre donc mon point vue : Le monde du numérique est inquiet parce qu’il a créé l’Internet qui est plus qu’un outil, puisqu’ il permet aujourd’hui la naissance et le développement sans précédent de nouveaux usages dans notre société. Il est devenu un acteur majeur de notre économie (25% de l’accroissement du PIB français). Malheureusement HADOPI a pour conséquence son irrémédiable destruction (voir l’inquiétude qui ressort de la lettre signée par les créateurs d’Internet au projet américain SOPA équivalent d’HADOPI).

HADOPI porte les stigmates de l’idéologie du Sarkozysme : le tout répressif ! En cas de téléchargement illégal et si vous avez la malchance d’être pris, vous êtes conduits tout droit en « prison ». La plupart des utilisateurs n’ont strictement aucune idée des limites qu’ils ont droit de franchir, parce qu’il est tout simplement impossible de les connaitre. C’est comme si l’on exigeait que vous rouliez à 130km/h, avec des radars automatiques pour contrôler votre vitesse… mais que vous n’avez pas de compteur (alors même que la puissance de votre véhicule vous permet de rouler à 400km/h). En effet, comment Mme Michou saurait-elle qu’elle devient un pirate en cliquant sur un lien « écoutez votre album préféré », sur lequel elle est invitée à se connecter ?

Il y a encore plus grave pour le milieu du numérique : cette loi s’est fixée comme objectif de centraliser Internet pour créer un point d’accès unique au travers duquel il sera alors possible de faire un contrôle avancé de chaque internaute. Or l’essence même d’Internet est la non-centralisation (étymologiquement Internet signifie « entre réseaux » et non « un réseau »). En centralisant, on détruit objectivement Internet pour recréer le Minitel : tous les utilisateurs deviennent spectateurs ou consommateurs et non plus acteurs ou fournisseurs, ce qui aura des conséquences catastrophiques sur les usages et donc sur l’économie numérique.

Il est facile pour le CSA de contrôler la télévision parce que les seuls comédiens sont les chaines, et il y en a peu, mais quelle pauvreté dans la diversité des programmes ! A contrario, Internet permet à chacun d’être sa propre chaine de télévision, créant ainsi une vraie richesse et une diversité sans précédent de laquelle les leaders de demain vont émerger. Aucun futur « CSA » ne sera en mesure de contrôler ces dizaines de millions de créateurs, sauf à les rendre spectateurs, donc à appauvrir tout le monde. Or même si pour une certaine génération, il n’est pas évident de comprendre tout ce que l’on peut faire avec une Free Box au-delà de regarder la télévision, il n’en n’est pas de même pour les adolescents d’aujourd’hui et les futurs utilisateurs de demain qui eux sont et seront nés avec.

On peut comprendre ce que souhaite l’actuel gouvernement, piloté par des lobbies prêts à « détruire le reste du monde » pour protéger leurs intérêts. Mais cette tentative de centralisation d’Internet équivaut à demander aux opérateurs la même chose que d’exiger de EDF de regrouper à son siège tous les compteurs de tous ses clients, de manière à pouvoir contrôler individuellement l’usage de l’électricité par chaque Français. Au-delà de son côté totalement liberticide, une telle obligation est inapplicable en l’état. En effet, comment peut-on imaginer la gestion par l’opérateur d’une énorme salle avec ses dizaines de millions de compteurs et autant de disjoncteurs ? Il est évident que pour contrôler ce  système aussi lourd que complexe, l’opérateur serait dans l’obligation de tenter de le simplifier en ralentissant les vitesses de connexion (le temps de voir ce qui passe) et d’interdire aux utilisateurs finaux un usage au-delà de limites et de normes très strictes qu’il leur imposerait, ce qui revient à tuer toute créativité. C’est vrai en matière électrique comme dans le numérique ! Ce serait la fin de toutes ces initiatives privées telles que FREE, VENTE-PRIVEE, MEETIC et consorts, toutes initiées avec des bouts de ficelles, souvent dans les garages et qui représentent aujourd’hui plusieurs milliards d’Euros de chiffres d’affaires.

Les opérateurs sont fermement opposés à cette loi parce qu’ils ne veulent pas être les gestionnaires de ces futurs « centres de contrôles » hyper complexes et liberticides, sans compter l’inconfort de leur position vis-à-vis du consommateur. En effet, tout se passerait comme si l’on leur demandait de créer les autoroutes de l’information, mais en même temps d’installer les radars et, la cerise sur le gâteau, de dénoncer leurs propres clients qui ont acquitté un péage mais ont mordu sur la bande d’arrêt d’urgence. Les opérateurs de l’Internet estiment que le rôle de « Cofiroute » n’est pas de lancer des motards à la poursuite de chauffeurs indélicats.
Le fonctionnement d’Internet n’est pas toujours bien compris  par les ayants-droits, les majors, notre gouvernement… et plus globalement par les personnes hors de ce milieu : tout ce petit monde  vit dans une espèce de mythe qui lui fait croire que la solution qu’il a inventée est la bonne, la seule et même  l’unique solution, alors qu’elle est gravement destructrice de valeur.

Dans l’indifférence totale du gouvernement, le monde du numérique tente aujourd’hui de trouver et d’organiser lui-même sa réponse. D’abord et avant tout créateur de contenu, il souhaite être rémunéré pour cela, il est en capacité de comprendre parfaitement les enjeux des ayants droits et connait ce qu’il est possible ou impossible de faire dans son monde. Il est de fait le seul protagoniste à avoir la compréhension globale des enjeux du sujet, techniquement, économiquement et  politiquement parlant.

Aujourd’hui, la réponse qui s’organise autour de M. Jean Michel Planche (fondateur de l’Internet chez France Télécom et désormais CEO de Witbe) et aussi étonnant que celà puisse paraitre, les "Labs HADOPI" peut se résumer autour d’une seule phrase : « à tout problème centré sur l’utilisateur, la réponse se fait autour de l’utilisateur » et non « à tout problème centré sur l’utilisateur, la réponse se fait par l’opérateur ».  Tous les 1ers jeudis du mois, une réunion relativement informelle regroupe un public hétéroclite (personnels des opérateurs, ayant droits, représentants d’HADOPI, écoles, particuliers…). La solution recherchée doit être globale et embrasser le périmètre le plus large possible.

L’Internet très haut débit chez le particulier, c’est l’équivalent d’une ligne EDF de 400 000 volts. On peut en faire des choses extraordinaires, mais c’est potentiellement dangereux. Le premier axe de la réponse est de proposer aux utilisateurs « un tableau numérique » équivalent du tableau électrique (c’est la création du compteur de vitesse évoqué plus haut), leur permettant de maitriser ce qui se passe sur leur internet et les alertant du risque imminent éventuel de mordre la ligne du téléchargement illégal par exemple, mais aussi de la nécessité du contrôle parental…

Comme en matière de sécurité routière, il s’agit d’une histoire qui va prendre plusieurs décennies et qui nécessite une réponse multiple et à tous les niveaux, chez l’utilisateur (compteurs de vitesse, airbag, aide à la conduite…), chez les fournisseurs (travail sur la signalisation, réfection des chaussées…), chez les divers contrôleurs (radars automatiques, mobiles…), chez les éducateurs (permis de conduire, sensibilisation dès le plus jeune âge…) etc.